Page 104 - Mémoires et Traditions
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CRÉATION D’UN RÉPERTOIRE ChORAL ET INTRODUCTION DE NOUVEAUX ChANTS
En dépit de certaines idées reçues, les musiques juives - même si elles présentent parfois des aspects fort anciens - ont toujours été sujettes au changement, contrairement aux textes liturgiques qu’il importait de respecter à la lettre. Les musiques ont relevé pendant des siècles de la seule oralité et, de ce fait, ont été soumises aux variations de l’histoire.
Au XIXe siècle, des bouleversements majeurs se produisent dans le répertoire des chants portugais. Des compositeurs - comme les Bayonnais Croste et Albert Lion, les Bordelais Léon Adrien Nounes et Alphonse Perpignan ou encore les Parisiens Émile Jonas, Samuel David et Alphonse de Villers - réalisent des arrangements chorals et instrumentaux de nombreux airs traditionnels portugais. Ils écrivent également de nouvelles mélodies dont certaines gagnent les faveurs des fidèles et deviennent traditionnelles ; d’autres - encore plus nombreuses - sombrent rapidement dans l’oubli35.
Dès 1858, les administrateurs du temple portugais de Paris s’émeuvent de la profusion de ces nouveaux chants et de la trop grande variété des airs chantés par les ‘hazanim. Ils font appel au Consistoire de Paris qui décide d’installer une commission du chant, chargée d’établir un répertoire devant être chantés à l’office. Halévy est pressenti comme président. Le grand rabbin Ulmann, Jules Cohen, Valentin Alcan, Bloch et Rosenhain participent à cette commission. Mais les travaux ne permettront pas d’aboutir à l’unité recherchée, et ses préconisations de normalisation du répertoire liturgique seront peu suivies.
Dans son livre sur l’histoire des Juifs de Bayonne, Henry Léon donne une description tout à fait saisissante de la réorganisation du chant liturgique et de la façon dont se déroule le nouvel office consistorial à la fin du XIXe siècle : « On sentit alors un jour la nécessité d’écrire les airs traditionnels, afin de les enseigner musicalement et on en composa de nouveaux s’inspirant des prières qui les motivaient et du moment où ils seraient chantés. On puisa dans la musique classique des grands maîtres, des compositeurs inspirés se firent connaître
et le chœur fut organisé, harmonisant les voix diverses des hommes avec celles des enfants. Dans le temple, quand le ministre officiant célèbre le service divin, il récite ou chante seul, sans qu’aucun accompagnement vocal ou instrumental vienne le soutenir. À certains passages, fort nombreux du reste dans les prières, I’assemblée des fidèles répond, mêlant à ces réponses les airs traditionnels commencés par l’officiant et continués à l’unisson. À des moments déterminés, les enfants et les hommes qui composent le chœur se lèvent et se groupent, la voix de l’officiant se tait, un silence religieux se produit et, sous la direction du chef donnant le ton et la baguette à la main, les chants modernes retentissent, exécutés avec un ensemble et des nuances dont la perfection donne un éclat tout particulier à la célébration parfois austère des solennités religieuses36. »
Cette description fort vivante nous permet de mesurer l’ampleur des bouleversements induits par la nouvelle pratique chorale et instrumentale. Dans sa version consistoriale, le nouvel office comprend différentes formes de chants :
- Les cantillations, psalmodies et cantiques conservent leur aspect récitatif traditionnel a cappella.
- Certaines prières, parties de prière, versets de psaumes sont arrangés et harmonisés à quatre voix, la voix supérieure reprenant la mélodie traditionnelle.
- Des airs sont empruntés à des compositeurs connus (comme Haydn, Beethoven, Halévy ou Rossini) et le texte des prières est plaqué - tant bien que mal - sur ces mélodies.
- Enfin, des compositeurs - plus ou moins chevronnés - écrivent de nouveaux morceaux dans un style le plus souvent tonal, en s’appuyant sur un texte liturgique déjà existant, ou sur un texte écrit pour l’occasion.
Conservation, adaptation, emprunt et nouvelles compositions furent ainsi les mots clés de la réorganisation du chant liturgique portugais au XIXe siècle. Rares furent au XXe siècle les initiatives tendant à introduire de nouveaux chants dans la liturgie, à l’exception de quelques airs composés par Salomon Foy à Bordeaux37.
35 - Hervé Roten, Les traditions musicales judéo-portugaises en France, Paris, Maisonneuve & Larose, 2000.
36 - Henry Léon, op.cit., p. 305.
37 - Salomon Foy, Recueil de chants hébraïques anciens et modernes du rite sefardi dit portugais en usage dans la communauté de Bordeaux. Bordeaux, Consistoire israélite de la Gironde, 1928.
38 - Gérard Nahon, Métropoles et périphéries séfarades d’occident, p. 242-244.
39 - Henry Léon, op.cit., p. 426.
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