Page 102 - Mémoires et Traditions
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Cependant, considérant la lourde charge financière qu’entraînent de telles formations orchestrales, il semble peu probable qu’elles aient participé activement au culte public. Si l’utilisation d’un ensemble orchestral restreint était courante pour les cérémonies des mariages25, l’emploi d’un effectif instrumental important était plutôt destiné aux cérémonies officielles : l’inauguration du temple, l’installation d’un nouveau grand rabbin26 ou la célébration de fêtes royales et de cérémonies patriotiques27.
À partir du milieu du XIXe siècle, les Consistoires du Sud-Ouest décident de ne plus faire systématiquement appel à une formation orchestrale pour célébrer les Te Deum au temple. Ils préfèrent utiliser un harmonium portable pour des raisons d’ordre pratique et économique.
À Bordeaux, plusieurs témoignages attestent de l’usage d’un harmonium bien avant sa mise en place définitive dans la nouvelle synagogue inaugurée en 1882. Ainsi, la fête du roi Louis-Philippe est célébrée le 1er mai 1833 par un Te Deum avec accompagnement d’« orgue ». La cérémonie de la réouverture du temple de la rue Causserouge (fermé pour cause de travaux), en 1843, fait intervenir un « orgue » tenu par un certain M. Dellile qui est, selon le Consistoire : « un des plus habiles organistes de la ville ». Un courrier du 11 décembre 1855 demande à ce que le mariage de la fille du Grand-Rabbin Marx soit fêté « en grande pompe », ce que permettrait un « piano-orgue » (c’est à dire un harmonium) accompagnant « les chœurs qui doivent être chantés à cette occasion28. »
À Paris, le débat sur l’introduction de l’orgue dans les synagogues fait rage depuis 1844, date à laquelle les membres laïques du Consistoire de Paris demandent au grand rabbin Isidor l’autorisation d’utiliser un orgue expressif pour une cérémonie d’initiation au cours de laquelle des jeunes filles chanteront un hymne. Ce dernier refuse, argumentant que « bien qu’il n’existe pas de texte formel contre l’introduction de cet instrument dans le temple, il croit devoir s’y opposer formellement, attendu que cet usage se rapproche de ceux des cultes non israélites...29»
Le Consistoire central, sollicité pour régler ce différend, diffère la cérémonie de quelques mois et promet de prendre une décision à ce sujet. Mais le débat est désormais lancé, et dès 1851, le Consistoire de Paris décide d’installer un orgue dans le temple de la rue Notre-Dame- de-Nazareth qui est alors en reconstruction. Dans le même temps les Juifs portugais de la capitale construisent un nouveau temple au 23 de la rue Lamartine, dans lequel ils prévoient aussi un orgue, placé derrière le chœur.
En 1854, Emile Jonas,
directeur de la musique du temple
de la rue Lamartine, publie un
ouvrage intitulé Shirot Yiserael,
Recueil des chants hébraïques
anciens et modernes, exécutés au Temple de rit portugais de Paris contenant 39 chants liturgiques avec accompagnement d’orgue. À cette époque, l’instrument installé dans le temple portugais est « un joli orgue de huit registres et à deux claviers, construit par la maison Ducroquet dans des proportions conformes à l’étendue du sanctuaire, plus élégant que vaste30. »
Notre-Dame-de-Nazareth, Lamartine, la Victoire et Buffault furent les quatre premières synagogues françaises à être équipées d’un orgue31. En 1856, le grand rabbin de France Salomon Ullman reconnut officiellement son utilisation dans le culte synagogal français. D’autres communautés suivirent alors le mouvement : « L’orgue, qui n’avait point été encore placé dans les temples, devint un jour, malgré l’opposition des anciens de la communauté, toujours rétifs devant les innovations, un accompagnement dans les jours qui n’étaient pas ceux de Sabbat ou des grandes fêtes. Les temples de Paris avaient donné l’exemple ; il fallait le suivre, et l’orgue du temple de Bayonne fut l’objet d’un don généreux de quelques partisans du progrès qui, en l’offrant au consistoire, imposèrent son incorporation dans l’ensemble des cérémonies32. »
25 - En 1888, le Consistoire bordelais prend la décision de légaliser, pour les mariages, l’utilisation d’un petit ensemble d’instruments à cordes. Quatre ans plus tard, c’est au tour de la communauté israélite de Bayonne d’établir un règlement dont les articles 57 et 59 relatifs aux cérémonies de mariage mentionnent le recours à des ensembles instrumentaux comparables à ceux utilisés à Bordeaux.
26 - Le 16 mars 1843, une cérémonie fut organisée pour l’installation du nouveau rabbin de Bayonne, Samuel Marx. Durant cette cérémonie «une musique har- monieuse, provenant d’un orchestre organisé pour donner plus de solennité à la cérémonie, a accompagné les prières du rituel choisies pour la circonstance et les hymnes chantés par le chœur». (Henry Léon, op. cit.., p. 274).
27 - Selon Henry Léon (op. cit., p. 271), on y chantait généralement un Te Deum, c’est à dire une prière à la gloire d’un souverain ou destinée à accompagner le retour des rouleaux de la Loi dans l’arche sainte. (cf. Ms. 3 de Bayonne, Préf., Tableau I, n° 17).
28 - Julien Grassen-Barbe, op.cit., p. 54-59.
29 - Registre des procès-Verbaux des Séances du Consistoire de Paris, (AA.3, séance du 4 mars 1844, p. 216-217. Cité par Gérard Ganvert, op.cit., p. 76.
30 - Maurice Bourge, Revue et Gazette Musicale de Paris, n° 46, 1854, p. 367-368.
31 - La synagogue de la Victoire possède un orgue Orgue Merklin (1875) comportant deux claviers de 56 notes et un pédalier de 30 notes, restauré en 1960 par la Maison Gutschenritter. La synagogue de la rue Buffault détient un orgue de même taille, refait par le même facteur d’orgue en 1985.
32 - Henry Léon, op.cit., p. 302.
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