Page 10 - Documents fondateurs et contractuels du Temple
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n INTRODUCTION HISTORIQUE
LE MAINTIEN DE LA TRADITION HISPANO-PORTUGAISE : UNE ACTION CONTINUE
En mars 1492, de nombreux juifs expulsés d’Espagne se réfugient dans le Royaume voisin du Portugal où le roi Manuel 1er fait preuve à leur
égard d’un libéralisme bienveillant. Mais son mariage quatre ans après avec la fille d’Isabelle la Catholique le contraint à appliquer la législation espagnole et à ordonner en 1497 la conversion forcée de tous les Juifs portugais.
Soumis aux tracasseries de l’Inquisition, beaucoup de ces « nouveaux chrétiens » connus également sous le nom de « conversos » ou le terme péjoratif de « Marranes », quittent alors cette terre devenue inhospitalière et se réfugient en Italie, en Turquie et aux Pays-Bas. Un petit groupe se dirige vers Bordeaux où le roi Henri II espérant que leur industrie profiterait au Royaume de France les autorise à s’installer comme « nouveaux chrétiens » et leur reconnait par lettres patentes de 1550 des droits identiques à ceux des régnicoles.1
Pendant un siècle et demi, ils obéissent scrupuleusement à toutes les pratiques du culte catholique. Ils font baptiser leurs enfants et sont enterrés à l’Eglise, mais en secret, ils continuent à pratiquer la religion juive et à en transmettre les principes à leur descendance, et chaque cérémonie chrétienne est suivie de son équivalence juive célébrée clandestinement. Ils sont en rapport avec des rabbins d’Amsterdam qui les aident à retrouver les principes de leur foi. Habiles, intelligents, ils réussissent dans les affaires. On en rencontre dans toutes les professions et dans tous les arts : médecins, imprimeurs, orfèvres, commerçants avec les colonies et l’étranger ; certains sont armateurs et affrètent des navires de guerre pour le compte du Roi.
Peu à peu, fort de leur importance économique locale, ils ne dissimulent plus et affichent leur judaïté. Le dernier mariage célébré à l’Eglise date de 1685. La première pierre tombale avec inscription en hébreu
date de 1701 et c’est à partir de cette même année que le registre des circoncisions est officiellement tenu. Ils construisent une synagogue, un mikvé et des écoles. Des rabbins venus d’Amsterdam, d’Italie et même de Terre Sainte exercent ouvertement leur ministère. En 1723, Louis XV confirme leurs privilèges par de nouvelles lettres patentes. Ils sont désormais reconnus comme Juifs dans les actes officiels. Leur prospérité croit tout au long du XVIIIème siècle. Cinq ou six familles font le commerce d’armement et de denrées avec l’Amérique. L’un des plus prospères est Abraham Gradis qui assure l’approvisionnement du Québec pendant la guerre de Sept ans. Il bénéficie de la confiance du Duc de Choiseul Ministre de la Guerre. A sa mort, des princes du sang assistent à son enterrement.2
Le rabbin docteur de la loi, est considéré comme un guide éclairé pour les affaires de la religion, voire les affaires privées, mais contrairement à l’usage des communautés de l’Est de la France, la direction de la nation est assurée par un conseil de laïcs, le gabay (trésorier) et les parnassim (syndic). Le règlement de la communauté de Bayonne de 1752 stipule : « le rabbin ne prendra aucune part aux affaires de la nation et se contentera de tout ce qui regarde son ministère ». La liturgie suivie est celle d’Amsterdam reçue d’Espagne et du Portugal et elle revêt pour ces Juifs ex-nouveaux chrétiens une importance particulière car elle a été le ciment entre leur communauté clandestine et les autres communautés de même origine. Elle est la garante de la tradition et l’on considère que le chant employé pour les prières constitue le meilleur vecteur pour l’enseignement de la religion, d’où l’importance de la liturgie et le souci de la maintenir sans altération.
Une seconde communauté de même origine s’est formée à Bayonne en 1597 à partir de familles expulsées de Bordeaux par l’Intendant royal. Leur situation est moins brillante qu’à Bordeaux et ils sont soumis à des
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