Page 39 - Mémoires et Traditions

Dans les tourmentes du XXe siècle
L’un des fidèles du temple Buffault tombé au champ d’honneur.
l’équité, adorateurs d’un Dieu de justice et de bonté, nous combattons tous ceux qui violent toute justice et toute humanité73. »
Plusieurs combattants et fidèles ne reviennent pas de la terrible épreuve comme Georges Benveniste, Nissim de Camondo, André Crémieux, Georges Milhaud, Robert Leroy de Bonneville et Maxime Sciama. Un temps, la victoire tait les souffrances et les deuils. À chaque commémoration de l’armistice, le temple est désormais orné des drapeaux tricolores tandis que le rabbin, lors de l’office solennel, rend hommage à la génération sacrifiée et célèbre les vertus de la France républicaine.
Depuis 1926, le rabbin Mathieu Wolff tente de dynamiser la communauté. Afin d’attirer les immigrés orientaux et d’Afrique du Nord, déjà favorables à la cause sioniste, il développe des activités avec le mouvement religieux Mizrahi. Malgré les efforts déployés par des hommes nouveaux et motivés tels René Guastalla, Edmond-Maurice Lévy et Marcel Mayer, les résultats obtenus sont faibles. Le temple Buffault, dont l’un des objectifs devait être de rassembler les Séfarades, n’arrive pas à assurer la cohésion entre les différentes tendances ce que regrette Numa Alphandéry : « nous n’avons pas réussi à grouper chez nous tous les Séphardis. » La Grande Guerre a transformé les mentalités communautaires et les immigrés orientaux préfèrent conserver leur propre rite. Comme pour les Juifs polonais et roumains, le cérémonial consistorial et une pratique feutrée du judaïsme ne les séduisent guère. Les esprits se sont politisés et deux sensibilités traversent la communauté : le sionisme et le communisme. La mentalité israélite bien-pensante des Portugais et des fidèles francisés paraît bien fade face aux idéologies nouvelles d’autant plus que la xénophobie renaissante et l’avènement des fascismes suscitent les inquiétudes des fidèles.
Si les israélites français, pour la plupart anciens combattants, se réfugient dans le souvenir de l’Union sacrée, les immigrés aspirent à bâtir une autre société, par-delà les différences sociales. Aussi, l’identité juive se définit autrement au cours des années trente et le judaïsme consistorial, auquel appartient maintenant le temple Buffault, demeure insensible aux profondes modifications que connaissent la société et la communauté. Une dérive se produit alors et, les israélites de vieille souche française entendent bien se distinguer de leurs coreligionnaires étrangers74.
72 - ACIP, Procès-verbaux, registre AA.20 (juin 1915 – janvier 1929), séance du 12 octobre 1915.
73 - L’Univers israélite,
28 janvier 1915. Sur cette période, Philippe Landau, Les Juifs de France et la Grande Guerre.
Un patriotisme républicain, Paris, CNRS Editions, 2008. 74 - Richard Millman,
La question juive entre les deux guerres, Paris, Armand Colin, 1992 et Simon Schwarzfuchs,
Aux prises avec Vichy. Histoire politique des Juifs de France (1940-1944), Paris, Calmann-Lévy, 1998, p. 37-67. Sur l’Union patriotique, consulter Philippe Landau,
op.cit., p. 253-257.
Puisque son public portugais décline, le conseil d’administration du temple (le président David Léon assisté de Numa Alphandéry, d’Arthur Bloche et de Maurice Rodrigues-Ely) tente d’attirer les immigrés ottomans. Mais juste avant 1914, la communauté voit une partie de ses fidèles quitter Buffault pour fonder un oratoire rue Popincourt destiné aux israélites orientaux ou rejoindre l’Union libérale. Les effectifs se réduisent davantage lorsque la Grande Guerre éclate. Les mariages sont rares, les ministres officiants Maurice Malka et Raphaël Mendès sont mobilisés avec une trentaine de fidèles72.
Célébrant le 50e anniversaire de son service sacerdotal, le rabbin Emmanuel Weill encourage ses coreligionnaires à participer aux efforts de guerre. Aux côtés de Fernand Lisbonne et de Camille Rodrigues-Ely, il réunit des fonds pour l’œuvre des Orphelins israélites qui vient d’être créée. Il est vrai que le rabbinat et les Juifs de France soutiennent inconditionnellement leur patrie. Mathieu Wolff, alors aumônier de la place forte de Belfort, estime que l’agression allemande en Belgique « a soulevé le cœur israélite d’un hoquet de dégoût et d’abjection » et que « nous israélites français, partisans du droit et de
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