Page 24 - Mémoires et Traditions
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Obligation délivrée à Albert Rodrigues Pimentel, 1877.
Le 4 juin 1851, le temple de la rue Lamartine accueille les fidèles. Situé au fond d’une cour, il est doté d’une architecture dorique avec une « nef presque carrée d’une grande simplicité41. » Il contient environ 400 places avec une galerie réservée aux femmes. Signe de l’émancipation religieuse, un espace est réservé à l’orgue, placé derrière le chœur. La bima est séparée du sol par quelques marches. Pour les Séfarades, l’heure de la consécration a sonné. Les témoins insistent sur « la beauté orientale de la race hébraïque » qui « le disputait au luxe et aux nobles manières de la civilisation moderne42. »
Les rancœurs semblent être oubliées et le grand rabbin Isidor, sans doute par crainte d’un courant réformateur qui traverse aussi la minorité séfarade, rappelle : « Pas de changement, mes frères, restons fidèles à notre foi et à nos principes, mais relevons cette foi... » La discorde surgit cependant quelques mois plus tard. En toute légitimité, l’administration du temple, harcelée par le remboursement de ses emprunts, réclame le legs Raba qui a été confié au Consistoire. L’institution tarde à le restituer et ne donne satisfaction aux Portugais que deux années plus tard ! Sans cesse, le grand rabbinat de Paris contrôle la gestion et l’organisation
du temple jusqu’aux taxes des inhumations et des mariages. Même son cérémonial est critiqué par les conservateurs ashkénazes qui souhaitent « moins de mise en scène » et se demandent « si le temple de la rue Lamartine est en dehors du droit commun, car rarement, si ce n’est jamais, l’intervention consistoriale s’y fait sentir43. » Désireux de faire taire les rumeurs, le Consistoire de Paris désigne alors un rabbin d’origine bordelaise pour le temple : Elie Aristide Astruc qui est le premier et l’unique rabbin portugais diplômé de l’Ecole centrale rabbinique44. Officiellement installé en 1859, il institue des conférences à thème historique et propose des cours d’instruction religieuse. Son charisme est efficace car ses sermons séduisent une assistance de plus en plus nombreuse. La grande bourgeoisie israélite de la capitale est sensible à l’ouverture d’esprit de ce rabbin moderne et savant45. Les familles d’Abraham de Camondo, de Charles Heine et même de James de Rothschild sont présentes aux offices. Jusqu’en 1866, date de son départ pour le grand rabbinat de Belgique afin de servir un judaïsme plus libéral, Elie Aristide Astruc réussit à maintenir et à défendre la tradition portugaise.
Vers la fin du Second Empire, les Portugais s’impliquent encore plus dans la vie communautaire et les autres sphères sociales. Faut-il y voir un dynamisme franc- maçon ou tout simplement l’affirmation identitaire dans un monde israélite dominé par les Ashkénazes ? Sans doute, devons- nous prendre aussi en considération leur réseau financier qui les conduit à former un bloc homogène et à partager les mêmes lieux de sociabilité. Plusieurs d’entre eux sont francs-maçons et appartiennent à la Grande Loge de rite écossais comme Benedict Allegri, Adolphe Crémieux, Alexandre Lange et Victor Monteaux46. Ils concilient judaïsme et idéaux égalitaires de la Révolution française. Aussi, le rabbin Elie Aristide Astruc et l’ingénieur Jules Carvallo font partie des six membres fondateurs de l’Alliance israélite universelle en 1860 dont le manifeste revendique la liberté de conscience, la lutte contre le fanatisme et la défense des opprimés. Ils sont rejoints ensuite au sein du Comité central par Benedict Allegri, Adolphe Crémieux, Ernest Levi Alvarès et Hippolyte Rodrigues47. Un temps, ils militent encore pour la fusion des rites afin de bâtir la « synagogue française » mais ils se montrent
41 - Emile de Labédollière, Le Nouveau Paris, Paris, 1860, p. 140.
42 - L’Univers israélite, 1851, p. 442.
43 - L’Univers israélite, 1856, p. 263.
44 - ACIP, Procès verbaux, registre AA.5 (août 1854 – mai 1865), séance du 2 septembre 1857.
45 - Lire les souvenirs de son fils, Gabriel Astruc, Le pavillon des fantômes, Paris, Belfond, 1987, p. 20-23.
46 - Consulter Luc Nefontaine et Jean-Philippe Schreiber, Judaïsme et franc-maçonnerie, Paris, Albin Michel, 2000. Benedict Allegri et Adolphe Crémieux seront Grands Commandeurs du Suprême Conseil de la Grande Loge (voir André Combes, Adolphe Crémieux, Paris, Editions maçonniques de France, 2003, p. 80-81.)
47 - André Chouraqui, L’Alliance israélite universelle et la renaissance juive contemporaine, Paris, PUF, 1965, p. 35-38.
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