Page 20 - Mémoires et Traditions

Billet du Consistoire de Paris pour la distribution des secours aux Portugais pauvres.
Du 9 février au 13 mars 1807, les séances du Grand Sanhédrin se tiennent dans la même salle Saint-Jean à Paris. Le rabbin d’Alsace David Sintzheim est nommé président, assisté par deux Italiens, Abraham de Cologna et Bension Segré. Parmi les notables parisiens, Jacob et Isaac Rodrigues sont toujours présents. Tous les députés, rabbins et laïques, confirment les réponses de l’Assemblée des Notables. Le 6 avril, le Grand Sanhédrin est dissous tandis qu’Abraham Furtado rend hommage au « Libérateur d’Israël26. » L’Empereur entérine les décisions doctrinales du Grand Sanhédrin. L’émancipation, amorcée depuis la Révolution française, devient une réalité plus concrète. Désormais, le culte israélite – sans être pour autant l’égal des autres religions – est reconnu par l’Etat. Au Juif sans patrie et sans droits succède le Français israélite... avec des devoirs.
Par décret du 17 mars 1808, le Consistoire central et les consistoires départementaux sont créés. Toutefois, les conclusions du Conseil d’Etat, approuvées par l’Empereur, sont arbitraires. Afin de dissiper l’usure, les israélites sont privés de leurs créances et les commerçants et artisans se voient obligés d’obtenir une patente délivrée par le préfet chaque année (cette mesure discriminatoire disparaît sous la Restauration en 1818). De même, la conscription est obligatoire et sans possibilité de remplacement. Les Portugais, ainsi que leurs coreligionnaires parisiens, interviennent massivement pour faire fléchir l’arbitraire et réussissent à être exemptés de cette injustice.
Malgré les mesures restrictives qui concernent la minorité juive, le règlement organique du judaïsme devient effectif avec le décret du 11 décembre 1808. Treize consistoires départementaux sont installés dans l’Empire dont un à Bordeaux. A Paris où siège le Consistoire central, deux Portugais sont choisis parmi les notables : Isaac de Oliveras et Benjamin Rodrigues. Le culte est maintenant
centralisé. Cela signifie la naissance du judaïsme consistorial, un modèle strictement français qui va être l’unique interlocuteur auprès du gouvernement du moins jusqu’à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905.
Le Consistoire de Paris contrôle désormais les six oratoires. Afin de centraliser le culte, il envisage de réunir dans une seule synagogue l’ensemble des fidèles mais il doit faire face à la résistance des Portugais qui tiennent à conserver leurs traditions27. Néanmoins, des nouveaux administrateurs sont nommés (Salvador Ravel et Elie Sazias) et sont chargés « de fixer l’attention de l’auditoire sur les devoirs de l’homme envers son créateur et envers sa patrie, sur l’observance des préceptes religieux, l’obéissance aux lois de l’Etat et l’amour du Souverain28. » Le ministre officiant Jacob Aguilard, secondé par Isaac Dacosta, doit « faire des lectures de moralité » aux fidèles chaque samedi29. Quant à Aaron Lévi Alvarès, il s’occupe des inhumations mais aussi de la distribution des secours au sein du Comité de Bienfaisance pour les Séfarades aux côtés d’Elie Halévy, le père du musicien Fromental Halévy et de Baruch Weil, le trisaïeul de Marcel Proust. Comme de nombreux Séfarades constituent déjà une frange de la bourgeoisie parisienne avec des banquiers (Benedict Allegri et Elie Furtado) et des négociants (Benjamin Daninos), ils participent pour près d’un tiers aux frais du culte. Motivés et soucieux de parfaire la régénération des Juifs, ils sont actifs au sein du comité de surveillance de l’école primaire israélite qui ouvre ses portes en 1819 et dont les objectifs sont de faire des élèves « de bons sujets, capables d’entrer avec succès en apprentissage d’arts et métiers30. » Peu d’enfants séfarades fréquentent pourtant l’école, sans doute parce que leurs parents, plus francisés, les envoient déjà dans les établissements publics. Toutefois, c’est à l’initiative de Nanci Rodrigues, la femme de Benjamin, que l’école primaire israélite pour les filles est inaugurée en mai 182231.
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