Page 16 - Mémoires et Traditions
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Le cimetière judéo-portugais de la Villette d’après Germain Lévy vers 1880.
Dès 1770, leur nombre étant devenu important, ils organisent un oratoire rue Saint-André-des-Arts dans l’appartement de Hananel Milhaud. Ceux qui dirigent les offices sont des lettrés comtadins reconnus par les autorités municipales tel l’Avignonnais Israël de Valabrègue, interprète du Roi pour les langues orientales. Les fidèles sont sans doute peu nombreux car, lors de sa venue à Paris entre décembre 1777 et janvier 1778, le rabbin palestinien Haïm-David Azoulai note : « Il n’y a pas de communauté : ce sont pour la plupart des gens de passage venus pour y commercer. » Il se montre d’ailleurs critique à l’égard de Valabrègue : « Il se croit rabbin, casuiste, poète et versé dans les sciences7. » Or, les connaissances de ce dernier sont étendues. Sa bibliothèque contient plus de 1 800 volumes dont 421 en hébreu. On y trouve aussi les œuvres d’Homère, de Cervantès, de Montaigne et de Buffon ! En 1767, avec le concours de Jacob Rodrigues Péreire, devenu le représentant de la Nation portugaise à Paris, il organise la défense des Juifs avignonnais originaires de Bordeaux et interpelle le gouvernement suite aux menées anti-juives des bourgeois parisiens. Un Edit permet aux étrangers d’acheter des brevets dans les principaux corps de métiers dont la draperie et la mercerie. Cinq israélites ont aussitôt profité de l’occasion mais les bourgeois réagissent. Valabrègue contre-attaque alors dans une volumineuse Lettre8. Les Portugais n’obtiennent pas gain de cause puisque Louis XVI révoque
ces brevets en 1774. Lorsqu’il décède en 1779, le Niçois Mardochée Venture le remplace à la Bibliothèque du Roi et devient le rabbin de la petite communauté. Vraisemblablement, les fidèles utilisent sa traduction en français des Prières journalières ce qui témoigne déjà d’une acculturation des Séfarades9.
Alors que les Lettres patentes sont renouvelées en 1776, le Parlement de Paris décide d’expulser quelques Juifs sans passeport. Les représentants des nations allemande (Jacob Goldschmit et Lipman Calmer), avignonnaise (Israël Salom et Salomon Petit) et portugaise s’indignent. Pour Péreire, les droits des régnicoles doivent être respectés « à Paris comme partout ailleurs en France10. » Il n’obtient pas entièrement satisfaction mais désormais les Juifs, munis d’un certificat de moralité par les notables, peuvent s’installer librement à Paris. Le temps de la clandestinité est révolu. Les Portugais, associés aux Comtadins, développent leurs structures communautaires. Ainsi, Salomon Ravel anime la confrérie Gemilouth Hasadim située rue Gît-le-Cœur (dénommée Confrérie des Juifs portugais) qui se charge des secours aux pauvres. Elle est ensuite administrée par Joseph Péreira Brandon et Léon Fernandès. L’oratoire se trouve désormais au 94 rue des Boucheries. Le Bayonnais Jacob Aguilard s’occupe des offices11.
La question du cimetière devient cependant une nécessité. Officiellement, les Juifs n’ont pas de lieu pour inhumer leurs morts mais depuis le début du XVIIIe siècle, ils louent un petit terrain à la Villette. En 1775, un scandale éclate car les propriétaires utilisent la parcelle pour équarrir les animaux et y enterrer les cadavres. Jacob Rodrigues Péreire exige un lieu sûr et digne pour les israélites et intervient auprès du lieutenant général de police Jean Lenoir qui se montre bienveillant. Lipman Calmer, l’un des représentants de la nation allemande, tient à tirer le bénéfice de cette louable démarche ce qui irrite Péreire. En désaccord, il est admis que chaque groupement aura son cimetière. Les Portugais font alors appel aux communautés de Bayonne, de Bordeaux mais aussi d’Amsterdam et de La Haye pour réunir les 3 120 livres nécessaires pour l’acquisition d’un terrain12. Le 3 mars 1780, ils acquièrent enfin leur propre cimetière. Le premier israélite à y être enterré « sans bruit, scandale ni appareil » est Daniel Lopès Laguna13. Le 15 septembre 1780, Jacob Rodrigues Péreire y repose à son tour. Outre les formules traditionnelles, il est gravé sur sa tombe en espagnol : « Primero fundator de este pio lugar. » Jusqu’en septembre 1813, le cimetière accueille les dépouilles des Séfarades parisiens. Quant aux Allemands, ils obtiennent leur lieu
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