Page 112 - Mémoires et Traditions
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Avec le rabbin Jacky Amar et le président Philippe Ginsburger, le temple Buffault a organisé plusieurs manifestations liées à la perpétuation du rite portugais : des conférences mais encore des concerts, comme celui qui eut lieu en février 2004 et au cours duquel la chorale de la synagogue de Bordeaux vint chanter les airs traditionnels. Elie Balmain, qui a succédé à Philippe Ginsburger à la présidence du temple, ainsi que l’actuel rabbin, Didier Weill, ont eu à cœur de continuer cette politique. Ainsi, le 13 décembre 2009 a eu lieu un concert de chants liturgiques avec à nouveau la chorale du temple de Bordeaux dirigée par Françoise Richard, accompagnée au piano par Pierre Lumbroso et Hervé N’Kaoua, et la participation du rabbin de Bordeaux, Alain-David Nakache, du jeune Mikaël Darmon et des chantres Léon Cohen et Philippe Darmon.
QUEL AVENIR POUR
LA MUSIQUE JUDÉO-PORTUGAISE ?
Aujourd’hui, vouloir préserver la musique judéo-portugaise, n’est-ce pas un leurre ? Une tentative vaine ? Les musiques, quelles qu’elles soient, ont toujours changé, évolué. Une tradition figée est une tradition morte. N’en serait-ce pour preuve que les variantes locales existant entre les rites bayonnais et bordelais - la liturgie de Paris étant plus ou moins identique à celle de Bordeaux.
Autre changement : au début du XIXe siècle, la transcription des mélodies traditionnelles pour chœur à 4 voix a souvent entraîné l’ajout d’altérations (dièse, bémol ou bécarre) afin de rendre les pièces tonales ; un cadre rythmique strict a été imposé à des morceaux de rythmes libres...
Autre paradoxe encore : si pendant des siècle l’oralité a prévalu pour la transmission des airs, c’est aujourd’hui l’écrit qui est considéré comme le garant de l’authenticité judéo-portugaise. Les ‘hazanim, actuellement en poste dans les communautés bordelaise et parisienne, ont appris une partie importante de la liturgie portugaise par l’intermédiaire des recueils de Salomon Foy ou de Maurice
Benharoche-Baralia. L’oral est donc sous perfusion de l’écrit. Maintenant, si l’on s’attache à analyser la tradition portugaise telle qu’elle est chantée aujourd’hui, on se rend compte que cette musique présente des aspects extrêmement hétéroclites. Elle se constitue d’une superposition de couches musicales de styles et de provenances diverses :
- Les cantillations relèvent de procédés récitatifs fort anciens soumis à la syntaxe du texte biblique.
- Plusieurs piyoutim (poésies religieuses) ainsi qu’une partie des kinot (Lamentations) de Tisha beAv portent les marques de la musique médiévale espagnole.
- On trouve également des airs basques ou turcs du XVIIe siècle, comme cette prière Lekha dodi chantée à Bayonne le vendredi soir, et dont la mélodie connue dans tout l’Empire ottoman a été reprise par Mozart pour illustrer musicalement le dernier chœur des Janissaires dans son opéra L’enlèvement au sérail.
- Certaines prières – comme Leel Elim – proviennent du répertoire du XVIIIe siècle de la communauté portugaise d’Amsterdam.
- Enfin il convient d’ajouter les nombreux airs modernes (mesurés et tonals) composés au cours de ces deux derniers siècles dans un style proche de la musique lyrique.
Si l’on écoute des enregistrements anciens, on constate également que cette tradition portugaise n’est plus chantée aujourd’hui comme elle l’était encore il y a 50 ans. Sous l’influence de la ‘hazanout nord-africaine, le ton de voix a été nasalisé, des mélismes ou des ornements introduits et la prononciation de l’hébreu changée47.
Le rite judéo-portugais actuel offre le visage d’une liturgie revue dans l’esprit des traditions méditerranéennes. Certains fidèles, issus de vieilles familles bordelaises ou bayonnaises, s’en offusquent parfois.
Il est toutefois important de rappeler que ce rite séfarade s’est développé dans la péninsule
47 - Par exemple, Le « ayin » n’est plus prononcé « gn » (Adone olam était transcrite Adone gnolam). 48 - Extrait d’un entretien enregistré par Hervé Roten le 18 septembre 1995.
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