Page 18 - Bulletin n°43
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Récit de la Pâque dans une grotte du
par le marrane Eliaou
                                 Dans la grotte, les préparatifs allaient grand train, et l’on voyait s’affairer les serviteurs de mon oncle, ceux dont il connaissait la loyauté ainsi que la fidélité envers notre foi. Les azymes étaient déjà cuits, le vin tout prêt, et prêtes les victuailles pour le festin de la veillée. Au quatorzième du mois, on disposa les lampes, on dressa la table avec autant d’ustensiles d’or, d’argent et de cristal qu’il y aurait de convives. Car les marranes de notre quartier restés fidèles à notre foi, devaient se joindre à nous pour célébrer la fête dans la joie.
Ce jour-là, nous nous étions rendus à l’église la plus proche, en compagnie de Rabbi Chlomo, prendre part aux prières et cérémonies en usage chez les chrétiens en ces jours de jeûne, afin d’écarter les soupçons et de donner le change aux prêtres, toujours hostiles aux marranes.
Le soir venu, on ferma le portail de la maison particulière de mon oncle, on verrouilla toutes les portes, et nous descendîmes enfin dans la grotte. Les lampes qui éclairaient tous les recoins de la salle illuminaient nos visages. La table, recouverte d’une nappe plus blanche que neige, regorgeait de victuailles ; à la place d’honneur présidait le doyen de notre petite communauté, l’hôte de passage, Rabbi Chlomo Ibn Virga, entouré des autres convives qui sur des sièges qui sur des couches étaient dix-huit en tout. Quelques- uns habitaient avec nous, les autres étaient de nobles marranes que mon oncle aimait et estimait, tel le vieux médecin Don Miguel da Costa avec sa femme, son fils et son jeune frère, et le noble marchand Jeronimo di Pinto avec sa fille et son gendre. Quant à Don Rodrigo Mascarinas, il était venu seul, car son fils Don Alonzo avait renié ses frères et ne voulait pas les connaître. R. Chlomo prononça le Kidouch et la prière ‘Béni soit Celui qui nous a fait vivre et arriver à ce jour’. Tous nous bûmes avec lui, et pour nous conformer en tout au rite de la fête, nous commençâmes la lecture
de la Haggada. R. Chlomo lisait en hébreu le texte que mon oncle traduisait ensuite en espagnol, langue également entendue par ceux d’entre nous qui étaient d’origine portugaise.
Heureux sommes-nous, et combien est délectable notre lot, s’écria R. Chlomo, car ce pain mangé voici deux mille huit cents ans est encore dans nos bouches, et tel que l’ont mangé nos pères ‘les reins ceints, les sandales aux pieds et le bâton à la main’, car maintenant encore nous devons nous tenir prêts pour la route sur laquelle l’Eternel nous conduira quand nous aurons quitté ce pays ténèbres pour le pays de l’Orient, là où sont déjà montés plusieurs parmi nos frères. Là-bas ils connaîtront le bonheur, et la lumière de l’Eternel brillera sur eux comme aux jours anciens. Que celui qui a faim vienne et mange, que l’indigent vienne et célèbre la Pâque avec nous, lisait R. Chlomo dans la Haggada. Mon oncle en traduisant, poussa un profond soupir et dit avec un accent d’amertume : « Hélas, ce sont là des mots que nous n’avons pas le pouvoir de transformer en réalité, car combien parmi nos frères ont faim de ce pain, et dans ce pays et dans d’autres où ils sont comme ici persécutés et réduits à l’apostasie ! Combien voudraient célébrer la Pâque et ne le peuvent, faute de quelque lieu sûr, et nous ne pouvons partager notre bonheur avec eux, de peur que nous ne tombions tous dans le malheur en périssant tous ensemble ! C’est à cela peut-être que pensaient nos sages en fixant le texte de la Haggada » dit R. Chlomo avec ferveur. Voilà sans doute le sens des paroles d’espoir ‘L’an prochain au pays d’Israël‘ dans un pays où les hommes ne nous empêcheront pas de servir notre Dieu comme nous le devons. Cet an-ci esclaves, l’an prochain, libres. Cet an-ci esclaves réduits à un esclavage spirituel pire que l’esclavage corporel, et l’an prochain libres, affranchis de toute violence pour servir le Dieu du ciel ! « Eh bien, traduisons donc notre espérance en langage clair » s’écria Don Miguel da Costa, « cet an-ci marranes
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